1er avril : elles sont
loin les farces, mais le printemps installé fait oublier l'hiver
maussade et réanime d'anciens émerveillements. Vieux et enfants
partagent au moins l'attrait des bêtes, de la terre et des plantes.
Avoir cette année déjà vu deux fois dans un jardin urbain un grand
papillon jaune jamais vu de ma vie ressemble à une annonce de fête
et la découverte hier du Bombyle à trompe et à fourrure butinant
les fleurs de myosotis en vol stationnaire vaut bien tous les
colibris que je n'irai jamais voir. Telle était mon humeur quand je
suis sorti dans la rue, et d'autant plus grande la colère qui m'a
pris.
Marchant au rythme d'un
véhicule chargé du poison, combinaison blanche et masque
respiratoire, un jeune homme pulvérisait un liquide désherbant le
long du trottoir, et c'était comme si tout d'un coup tout était
effacé, que les puissances de mort avaient repris le dessus sur les
petites vies que j'aime. Je repensais à l'escouade similaire qu'un
voisin absent avait commandité pour nettoyer ainsi tout son jardin
en friche. J'avais seulement réussi à les empêcher d'arroser
l'allée le long de notre haie.
Ce matin, j'ai eu envie, tel
un reporter de guerre, de prendre des photos, et en ai fait quelques unes, pour
aussitôt réaliser que les employés municipaux à l'œuvre en
étaient en fait les premières victimes, et il était trop tard
pour le leur expliquer. Car il est sûr que ceux et celles qui leur
donnent ce travail ou fabriquent ces toxiques ne voudraient jamais
que leurs propres enfants prennent leur place. Qu'apprennent-ils
aussi, supposés s'occuper d'espaces verts, de parcs et jardin ?
Toujours taillant, coupant, tuant, ne connaissant que les engins à
moteurs et les mots en '-cide', que sauront-ils des plantes, de leurs
soins, de leurs besoins et de ce qu'elles nous apportent?
J'ai aussi pensé que madame
le maire fraîchement réélue, elle qui ne semble aimer que les
arbres en bacs ou récipients plastiques, voulait marquer le coup ou
bien son territoire : le débarrasser de tout ce qui dépasse et
pousse sans autorisation. Mais je dois malheureusement reconnaître
que les municipalités précédentes ne concevaient pas autrement la
propreté.
Sale est l'herbe qui pousse
au bord des murs, aux bords des trottoirs ou entre deux pavés. Sales
les plantes qu'on a pas achetées et qui poussent quand même.
Emballages à tout-va,
plastiques dans les fossés et sur les bas-côtés, dans les branches
des arbres et dans les champs, PVC indestructible à toutes les
portes et fenêtres, que du propre. Même le compost distribué au
sortir de l'usine de bio-méthanisation n'est pas privé d'un
insidieux saupoudrage de fragments synthétiques.
De même que le liquide que
le garçon masqué ne doit pas respirer, peu importe qu'ils soient ou
non des perturbateurs endocriniens : ils finissent par dégrader
la terre, sans qu'aucun pouvoir s'en soucie. Pourquoi payer de
l'énergie humaine ? On n'en a pas idée, on nous en vend bien
d'autres.
Demain n'est plus un autre
jour.